Pour mieux manger et mieux vivre, les épiceries alternatives sont-elles la solution?

Crédit photo : Épicerie l'escargot gourmand
Le 1er juin, le nouveau Code de conduite des épiciers est entré en vigueur. Loblaw, Sobeys, Metro, Costco et Walmart ont adhéré de manière volontaire à ce code qui vise à mieux encadrer leurs relations d’affaires avec leurs fournisseurs ainsi qu’à rendre leurs pratiques commerciales plus transparentes. Cette entente contribuera-t-elle à rééquilibrer le rapport de force asymétrique entre ces 5 grands détaillants et les producteurs? Seul l’avenir le dira. Toutefois, une autre solution peut aussi être envisagée pour repenser la distribution alimentaire: les épiceries alternatives.
«On peut illustrer le système alimentaire canadien sous la forme d’un sablier. Il y a des centaines de producteurs alimentaires et des millions de consommateurs, mais, entre ces deux groupes, il y a une poignée d’entreprises qui dictent les règles de la distribution. Le pouvoir se trouve donc entre les mains de quelques distributeurs qui, à eux seuls, représentent 54% du PIB bioalimentaire. Il y a des conséquences à ce goulot d’étranglement», affirme Ali Romdhani, professeur à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation, qui en énumère quelques-unes. D’abord, les consommateurs paient trop cher leurs produits en raison du manque de concurrence, ou encore d’une collusion entre les compagnies – comme ce fut le cas entre 2001 et 2017 pour le prix du pain. Puis, les grandes chaînes déterminent des standards esthétiques pour les fruits et les légumes, ce qui conduit au gaspillage d’une grande quantité d’aliments qui ne répondent pas aux normes. Finalement, les producteurs sont maintenus dans la précarité, explique-t-il.
Sociologue de formation, le professeur Romdhani enseigne les sciences de la consommation et mène des recherches sur les épiceries alternatives. Il a récemment offert un webinaire sur ces commerces de proximité qui proposent une transition sociale et écologique.
«Beaucoup de gens connaissent les marchés fermiers et les paniers bio, mais peu savent qu’il existe des épiceries alternatives ouvertes à l’année longue. Il est possible, au Québec, de fréquenter des épiceries à échelle humaine plutôt que des grandes chaînes transnationales, de consommer autrement et de participer ainsi à un changement social», assure le chercheur, qui a lui-même cofondé une épicerie coopérative et participative, Breizicoop, à Rennes en France, durant ses études doctorales.
Qu'est-ce qu'une épicerie alternative?
«C'est avant tout une innovation sociale», répond du tac au tac Ali Romdhani, à qui l'on demande ce qu'est une épicerie alternative. Cette notion couvre un large spectre, comprenant aussi bien des commerces de proximité que des initiatives citoyennes. En fait, on peut dire qu'il s'agit de tout mode de distribution alimentaire qui met en œuvre des principes différents de ceux des épiceries traditionnelles. «C'est ce qu'on appelle la promesse de différence», ajoute-t-il, tout en indiquant qu'il ne faut pas être trop restrictif, puisque ces épiceries évoluent dans un marché très concurrentiel et qu'elles ne peuvent faire complètement abstraction des pratiques commerciales conventionnelles. «Aucune épicerie ne peut être totalement alternative. Cependant, on peut parler d'épiceries alternatives dès qu'il y a un espace d'expérimentation où on met en œuvre une pratique innovante qui influence la consommation et le mode de vie, dans une visée de justice sociale», soutient le chercheur.
Ce dernier croit également que ces épiceries ont une incidence sur la transition écologique. Actuellement, les systèmes alimentaires sont responsables de 29% des émissions de gaz à effet de serre (GES) et de 80% de la perte de biodiversité à l'échelle de la planète. Et même si 70% des Canadiennes et Canadiens affirment rechercher des aliments écologiques, les considérations environnementales ne se reflètent pas dans les ventes. C'est ce qu'on appelle le green gap. «Bien des gens ont des idéaux mais, rendus au supermarché, ils optent pour le produit le moins cher. La société que les gens veulent n'est pas celle qu'ils achètent», observe le professeur.