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Billet novembre 2022

L'économie circulaire pour faire face au gaspillage alimentaire : Un œil sur l'acceptabilité sociale

Vous vous êtes déjà imaginé en train de déguster un produit alimentaire fait de déchets, qui autrement seraient jetés aux décharges ? Accepteriez-vous de payer pour un produit alimentaire dont l’un des ingrédients a été récupéré ? Qu’est-ce qui vous paraît le plus dégoûtant… une boisson protéinée faite des eaux usées de l’industrie du homard ou une barre tendre imprimée en 3D faite d’une pâte déshydratée à base de déchets alimentaires ? Et si vous le faites pour l’environnement? 

Le gaspillage alimentaire
La société dans laquelle nous vivons promeut un paradigme linéaire basé sur le trio « take-make-dispose », où nous extrayons les ressources naturelles pour en produire des produits finis satisfaisant notre utilité. Ce processus génère beaucoup de déchets qui sont déversés directement dans la nature. Recyc-Québec (2022) définit le gaspillage alimentaire comme « toute partie comestible d’un aliment destiné à la consommation humaine qui est détournée, dégradée, perdue ou jetée à n’importe quelle étape du système bioalimentaire, incluant celles de la récupération et redistribution alimentaire et des consommateurs ». Le gaspillage et les pertes alimentaires représentent un fardeau pour le secteur agroalimentaire. Un peu plus que le tiers de la nourriture que nous produisons n’atteint presque jamais l’assiette du consommateur et est perdu le long de la chaîne d’approvisionnement. C’est l’équivalent de 35,5 millions de tonnes métriques et de 20 milliards de dollars d’aliments comestibles gaspillés par les Canadiens chaque année dans un pays où quatre millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire. Les voix semblent ainsi s’accorder, entre scientifiques et décideurs politiques, que ce modèle économique est loin d’être durable. Ceci est d’autant plus vrai que chaque aliment gaspillé se traduit par la perte de toutes les ressources qui ont été déployées dans son processus de fabrication, notamment, la culture, la transformation, l’emballage, le transport et le marketing.


L’économie circulaire : Une solution au problème de gaspillage alimentaire ?
L’économie circulaire se présente comme une alternative au modèle actuel de production et de consommation en proposant de réintégrer les déchets alimentaires dans la chaîne d’approvisionnement comme des ingrédients de nouveaux aliments. L’économie circulaire imite les systèmes naturels de régénération, de sorte qu'il n'y a pas de déchets, mais plutôt des matières premières pour la génération de nouveaux produits alimentaires. Bien que quelques exemples existent sur le marché québécois à l’instar de l’entreprise LOOP qui fabrique des jus à base de déchets de fruits et de légumes, l’appropriation concrète et l’intégration de ce concept dans les habitudes alimentaires des consommateurs du Québec semblent se heurter à une grande réticence de la part de la population surtout que les consommateurs sont en général très sensibles à toute forme de développement technologique associée à des produits alimentaires.
Une faible compréhension subsiste en ce qui concerne les facteurs d’acceptation et les préférences des consommateurs envers les produits circulaires.

Quelles barrières sont en arrière de la réticence des consommateurs québécois vis-à-vis des produits alimentaires issus de la circularité ?
Au vu de nos études sur l’acceptabilité sociale des produits alimentaires issus des systèmes de circularité, 1014 consommateurs québécois ont répondu à nos questionnaires. Ceux-ci impliquent 9 produits distincts, dont un ou plusieurs ingrédients sont faits de déchets alimentaires et sont issus de différents niveaux d’innovation, allant d’innovations incrémentales (ex. : jus faits de fruits initialement destinés à l’enfouissement, ou des bières faites de pains gaspillés et récupérés) jusqu’aux innovations radicales impliquant des procédés de transformations complexes (ex. : collations imprimées en 3D faites à partir d’une pâte déshydratée de déchets alimentaires ou des boissons riches en probiotiques obtenues par fermentation anaérobie de déchets (Lactosérum acide) de l’industrie de yogourt).
Seulement le tiers de l’échantillon sondé dans le cadre de ces études montre de l’intention à consommer ces produits, ce qui affirme la tendance à l’aversion pour la consommation des produits issus de l’économie circulaire. Des barrières psychologiques comme la néophobie alimentaire (définie comme la réticence à manger ou à éviter les aliments nouveaux ou non familiers), l’attrait sensoriel (à travers l’émotion de dégoût) et l’attitude face au risque ont tendance à influencer remarquablement l’intention d’acheter ces produits. La peur, en revanche, montre un effet négatif sur l’intention d’achat de produits issus de la circularité uniquement lorsqu’il s’agit d’une innovation alimentaire radicale. Cet effet dépasse même l’effet de la néophobie alimentaire et peut être expliqué par le manque de familiarité avec les produits et les processus industriels qui lui sont associés, et qui peuvent être perçus comme moins naturels. La disposition à payer pour ces produits est en général inférieure à celle pour leurs équivalents conventionnels, où la majorité des répondants pensent que le prix doit être inférieur à celui du produit conventionnel vu qu'il s'agit d'un produit recyclé. 

 
Comment faire face à cette réticence ?
Des facteurs comme la conscience écologique et la perception de l’utilité affectent positivement l’intention d’achat, où les personnes qui arrivent à lier ces produits à la résolution du problème du gaspillage alimentaire et la durabilité de l’agriculture sont plus enclines à les consommer. Concernant l’effet de l’information, les informations positives formulées dans un contexte environnemental et sanitaire ont plus d’effet sur la disposition à payer pour les produits alimentaires issus de la circularité que celles formulées dans un contexte économique. En effet, une exposition à des informations positives sur l’effet de ces innovations sur l’environnement améliorerait la disposition à payer des consommateurs en moyenne de 3,28% et une exposition à des informations positives sur l’effet de ces innovations sur la santé globale de la population améliorerait cette disposition à payer de plus de 10%.

Plus d'efforts sont nécessaires pour aider les consommateurs à surmonter ces barrières psychologiques afin d’intégrer ces pratiques circulaires dans leurs habitudes de consommation. Plus d’emphase doit également être mise sur l’utilité de cette technologie alimentaire dans la lutte contre le gaspillage alimentaire pour encourager les consommateurs à consommer ces produits et en soulignant des informations contextualisées sur l’environnement et la santé.

 

Wajdi Hellali

Candidat au doctorat en économie circulaire en agroalimentaire

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