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Billet octobre 2022

Le marketing de réseau, est-ce trop beau pour être vrai ?

Avez-vous déjà été contacté par une connaissance vendant à son compte un produit pour une compagnie? Ce produit pourrait être le parfait mascara, une concoction faisant « fondre le gras » autour de la taille, des huiles essentielles pour guérir tous les maux, des contenants de lunch en plastique de suprême qualité, des programmes d’entrainement à la maison, des suppléments alimentaires et vitamines, des vêtements, des assurances, ou même des cours ou formations permettant de devenir riche(!). Peut-être même avez-vous été recruté par un représentant d’une de ces compagnies, faisant miroiter des possibilités de revenu d’appoint ou même de carrière à gros profit. Il se peut aussi que le sens de « famille », de « groupe d’amis » ou de « communauté » au sein des représentants de cette compagnie vous ait été présenté comme l’un des avantages de se faire recruter dans leur « équipe ». Ça donne envie d’acheter, de se mettre à vendre, même, non? Pas si vite! Il importe de faire le bilan sur ce modèle d’affaires avant de s’y lancer.

La vente à paliers multiples (ou marketing de réseau, ou multi-level marketing en anglais) est une stratégie employée par certaines compagnies de vente directe. Les compagnies de vente à paliers multiples recrutent des membres afin de vendre leurs produits ou services, puis ces membres sont invités à recruter de nouveaux membres pour vendre ces mêmes produits ou services. Chaque membre reçoit un pourcentage des ventes de ses recrues, des recrues de ses recrues, et ainsi de suite.

Plusieurs comparent ce modèle d’affaires à de la vente pyramidale en raison de certaines similarités au niveau des stratégies employées. Ça et, aussi, une certaine… forme géométrique qui semble se former lorsque l’on regarde le plan de rémunération d’une compagnie de vente à paliers multiples. Cette comparaison a-t-elle lieu d’être? Et la vente à paliers multiples est-elle éthique ou non? Ces questions seront adressées dans les paragraphes suivants.
Pour commencer, qu’est-ce que la vente pyramidale, exactement? Selon le Bureau de la concurrence du Canada (2022), la vente pyramidale est une pratique illégale qui cherche à générer des profits principalement par le recrutement d’autres personnes, plutôt que par la vente des produits eux-mêmes. Les produits, s’il y en a, peuvent avoir très peu de valeur, ou encore les représentants peuvent être peu incités à les vendre.

Ainsi, la Loi sur la concurrence délimite des actes qui sont interdits aux commerces de vente à paliers multiples; ces actes sont classifiés comme vente pyramidale. Les voici :

Il est également illégal pour un système de commercialisation à paliers multiples de faire l’une des choses suivantes :

  • offrir une rémunération pour le recrutement;
  • exiger des achats (autres qu’une trousse de départ vendue au prix coûtant) comme condition de participation;
  • obliger les participants à acheter une grande quantité de stocks qui ne peuvent être revendus ou utilisés dans un délai raisonnable (consignation abusive);
  • ne pas offrir une garantie de rachat à des conditions commerciales raisonnables.

    Bureau de la concurrence (2022)

Donc les commerces de vente à paliers multiples sont légaux et la vente pyramidale est illégale. Même si cette comparaison semble acquitter les commerces de vente à paliers multiples de toute faute, il suffit d’examiner quelque peu leurs stratégies afin de voir des pratiques à tout le moins questionnables. Premièrement, une compagnie de vente à paliers multiples ne peut pas offrir à un représentant une rémunération en échange du recrutement d’un nouveau représentant. En revanche, il est courant pour ces compagnies d’avoir comme exigence d’un représentant, pour commencer à le rémunérer, qu’il recrute une ou deux personnes sous lui. Ainsi, la compagnie n’offre pas au représentant une somme d’argent franche contre le recrutement d’autres personnes, mais garde son revenu de commission en otage jusqu’à temps qu’il trouve des recrues. Outre cette pratique déjà douteuse adoptée par certaines compagnies de vente à paliers multiples, presque l’ensemble ont un système de rémunération qui bonifie les revenus selon le nombre de recrues sous un représentant et le volume de vente de son « équipe » sur une certaine période. De plus, même si la compagnie ne peut, dans les faits, exiger de ses représentants qu’ils achètent personnellement des produits afin d’être représentants, elle peut contraindre le représentant à atteindre un certain volume de vente sur une certaine période afin de demeurer un représentant « actif » ou de conserver son rang sur le plan de rémunération. Plusieurs bonis ou récompenses sont également monnayés contre des objectifs de vente ambitieux. Nombreux sont les représentants qui se sentent contraints de combler les écarts de vente en achetant des produits avec leur propre argent, faute de quoi leur boni, leur rang ou même leur « deuxième emploi » en entier sera fauché sous leurs yeux. Ainsi, on peut assister au développement de modèles d’affaires très prédateurs par des compagnies qui savent bien naviguer la loi afin de ne pas opérer dans l’illégalité.

En plus des politiques émanant des compagnies elles-mêmes, il existe également plusieurs méthodes pratiquées par leurs représentants qui pourraient être qualifiées, au mieux, d’opportunistes. Les représentants, désespérés de faire fonctionner leur nouvelle « carrière », mettent parfois de la pression sur leur famille et amis afin d’acheter leurs produits (Koehn, 2001). Aussi, plusieurs types de personnes que l’on pourrait considérer vulnérables semblent ciblés dans les efforts de recrutement de nombreuses compagnies de vente à paliers multiples. Les gens qui sont insatisfaits de leur situation financière et ceux en précarité d’emploi en font partie. Les nouvelles mamans, qui se sentent isolées socialement et professionnellement par ce gros changement de vie, sont également des potentielles recrues de choix. Sont alors proposés à toutes ces personnes une possibilité de rejoindre une grande famille et de gagner des revenus compétitifs.

Ces revenus, justement, à quoi ressemblent-ils? Selon Jon M. Taylor, MBA, Ph.D., de la Consumer Awareness Institute aux États-Unis, approximativement 99,7% des participants au sein d’une compagnie de vente à paliers multiples perdront de l’argent en bout de ligne – plutôt que d’avoir un revenu quelconque. Le modèle d’affaires de ces compagnies est basé sur une chaîne de recrutement sans fin dans un marché où la saturation est atteinte après un temps certain. La difficulté de vendre les produits dans ce marché, couplé aux pressions financières liées à la participation à ces programmes de vente, font en sorte qu’une bonne partie de ces participants abandonnent silencieusement le projet, non sans conséquences. L’argent dépensé dans les achats à la compagnie et dans les coûts d’opération supplante souvent quelque revenu en commission qu’ils auront touché au cours de leur « carrière » dans la compagnie. Taylor souligne d’ailleurs que la majorité des ventes de ces compagnies de ventes à paliers multiples sont faites à leurs participants – faisant d’eux leurs plus grands clients. Les personnes dans les quelques paliers du haut du « triangle », elles, font un profit considérable, sans compter les profits de la compagnie elle-même.

Ainsi, avant d’accepter d’acheter (ou même de vendre!) ce pot de crème miracle, pensez-y bien. Même si c’est votre connaissance qui vous vend ce pot de crème, rappelez-vous qu’au bout du compte, ce ne sont peut-être pas ses poches à elle que vous garnirez en lui versant l’argent. Vous vous préparez peut-être à remplir les poches d’une compagnie fondée sur des pratiques peu éthiques et à prolonger son affligeante chaîne d’exploitation. 

Comme on le dit souvent, « Si c’est trop beau pour être vrai… »

 

Justine Maltais-Proulx

Étudiante à la maîtrise en Sciences de la consommation
Département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation

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