Aller au contenu principal

Billet février 2024

Les pièces de cinq cents déjouent la Loi sur la monnaie canadienne

Analyse de leur valeur intrinsèque

Hugo Chouinard accompagné de l’échantillon utilisé pour cette enquête : 250 000 pièces de cinq cents ou l’équivalent d’une tonne. (photo : H. Chouinard)

Après avoir trié à la main un total de 250 000 pièces de cinq cents, le fameux castor métallique prend une tout autre dimension. Le cinq cents est la dernière pièce de monnaie canadienne en circulation qui possède encore aujourd’hui une valeur intrinsèque qui se rapproche de sa valeur faciale (inscrite sur la pièce). Cette analyse approfondie des pièces en circulation a permis de déterminer dans quelle mesure cette pièce conserve encore sa valeur intrinsèque. En parallèle, cette étude permet de comprendre comment la Loi sur la monnaie canadienne intervient pour ajuster la valeur intrinsèque des pièces de cinq cents afin qu'elle corresponde à leur valeur faciale. Afin d’accomplir cette mission, deux partenaires ont été sélectionnés pour fournir et ensuite déposer l’échantillon de 250 000 pièces. Je tiens à remercier officiellement : 

  • la succursale de la Banque TD l’Ormière pour m’avoir permis de commander sans frais sur une période de vingt-deux mois un total de 250 000 pièces de cinq cents ; 
  • la Caisse Desjardins de l’Université Laval pour la logistique entourant le dépôt exceptionnel sans frais de 250 000 pièces de cinq cents.
     

Structure en pièces de cinq cents défiant la gravité à l’aide du magnétisme (photo : H. Chouinard)

Disparition de la valeur intrinsèque de la monnaie canadienne
En 1968, la Monnaie royale canadienne [MRC] (2023) modifie la composition des pièces en circulation, passant de l'argent et du cuivre au nickel à 99% pour les pièces d'une valeur supérieure à 0,05$. Cela diminue considérablement la valeur intrinsèque de la monnaie au Canada. Malgré cela, la confiance persiste, avec le cours légal garantissant l'échange de la valeur faciale en biens et services (Gouvernement du Canada, 2023). Ainsi, la monnaie canadienne devient principalement fiduciaire, comme le montre la Figure 1.

Figure 1. Évolution des pièces de cinquante cents composées d’Ag à 80 % et de Cu à 20 % vers les pièces de cinquante cents en Ni à 99 % à partir de 1968 (MRC, 2023)

Quant à elle, la pièce de cinq cents a subi le même sort plusieurs années auparavant. En effet, c’est en 1922 que les minuscules pièces de cinq cents en argent se transforment en pièces plus volumineuses composées de Ni à 99%. La Figure 2 montre cette transformation.

Figure 2. Évolution des pièces de cinq cents composées d’Ag à 80 % et de Cu à 20 % vers les pièces de cinq cents en Ni à 99 % à partir de 1922 (MRC, 2023)

Après plusieurs années, l’inflation fait son œuvre et certaines vieilles pièces qui se trouvent toujours en circulation voient leur valeur intrinsèque dépasser leur valeur faciale. D’ailleurs, la valeur intrinsèque de certaines pièces de cinq cents en Ni a atteint vingt-cinq cents en mars 2022. Il se pourrait que le castor métallique soit sur le point de disparaître, à la lumière de la montée des prix des ressources. Une situation similaire à celle qui a justifié le retrait des pièces d'un cent au Canada (Gouvernement du Canada, 2012).

Pourquoi avoir choisi la pièce de cinq cents
La pièce de cinq cents est celle qui possède actuellement le plus grand rapport masse/valeur faciale (voir Tableau 1). Aussi, la majorité des pièces produites avant l'an 2000 possèdent une valeur intrinsèque dominant leur valeur faciale (voir Tableau 2). 

Tableau 1. Rapport entre la masse et la valeur faciale des pièces en circulation composées de Ni (MRC, 2023)

 

Tableau 2. Dominance de la valeur intrinsèque des pièces de cinq cents en fonction de la période de production en date du 16 décembre 2023 (MRC, 2023)

 

Cependant, quasiment autant de pièces ont été produites durant les périodes 1922-1999 et 2000-2022. Considérant que les pièces récentes (après 1999) ont une valeur intrinsèque très faible il est fort probable que ces nouvelles pièces ont fait chuter drastiquement la valeur intrinsèque moyenne des pièces de cinq cents en circulation. Aussi, il est fort probable que de nombreuses pièces anciennes ne soient plus en circulation aujourd’hui, diminuant le nombre de pièces à forte valeur intrinsèque en circulation.

Question et hypothèse de recherche

Question de recherche
Est-ce que les pièces de cinq cents en circulation dans la région de Québec ont, en moyenne, une valeur plutôt fiduciaire ou intrinsèque ?

Hypothèse retenue 
Les pièces de cinq cents en circulation dans la région de Québec ont, en moyenne, une valeur plutôt fiduciaire (représentant plus de 50 % de leur valeur faciale).

Les résultats en bref

Composition métallique
La masse totale de l’échantillon (1,013 tonne) se compose principalement d'acier (77,40 %), utilisé dans les pièces canadiennes récentes. L’échantillon est aussi composé de nickel (11,27 %) et cuivre (11,33 %) présents dans les pièces canadiennes anciennes et les pièces des États-Unis.

Les pièces de cinq cents ont une valeur plutôt fiduciaire
En moyenne, chaque pièce de cinq cents possède une valeur intrinsèque de 1,846¢, représentant 36,91 % de sa valeur faciale. Sur l'ensemble de l'échantillon, 15,98 % des pièces possèdent une valeur intrinsèque supérieure à leur valeur faciale en date du 16 décembre 2023. Ce résultat permet de valider l’hypothèse retenue : les pièces de cinq cents en circulation dans la région de Québec ont, en moyenne, une valeur plutôt fiduciaire (représentant plus de 50 % de leur valeur faciale).

Correction légale de la valeur intrinsèque
La Loi sur la monnaie canadienne corrige la valeur intrinsèque de 84,02 % des pièces à la hausse, avec une augmentation moyenne de 4,310 ¢ par pièce. Elle corrige aussi à la baisse la valeur intrinsèque de 15,98 % des pièces, avec une diminution moyenne de 2,927 ¢ par pièce. En considérant l'ensemble de l'échantillon, la Loi sur la monnaie augmente en moyenne la valeur intrinsèque de chaque pièce de 3,154 ¢. Un résumé des résultats est présenté dans le Tableau 3.

Tableau 3. Correction légale des pièces de cinq cents

 

Tirer profit des pièces de cinq cents en déjouant la Loi sur la monnaie canadienne
Le Tableau 3 montre que la Loi sur la monnaie soustrait un total de 1 169$ à 39 939 pièces qui possèdent une valeur intrinsèque dominante. Cette soustraction a lieu lorsque le consommateur dépense de vieilles pièces toujours en circulation. En effet, même si la pièce possède une valeur intrinsèque plus élevée que cinq cents, les commerçants n’offriront pas plus de cinq cents de marchandise en échange. Le consommateur qui veut profiter de la valeur intrinsèque dominante de certaines pièces devra, par exemple, trouver un collectionneur qui voit ce type de pièce comme un investissement en matières premières (Ni et Cu). En moyenne, un consommateur motivé serait en mesure de réaliser un profit de 9,35$ pour chaque boîte de 100$ en cinq cents qu’il retire d’une institution financière en date du 16 décembre 2023. À noter que la Loi sur la monnaie canadienne interdit de faire fondre les pièces pour récupérer les métaux qu’elles contiennent. La MRC, autorisée à fondre les pièces, devra prendre en compte les frais de manipulation et de transformation, lesquels pourraient réduire le bénéfice potentiellement réalisable advenant un projet de recyclage des pièces de cinq cents.

Conclusion
Ce projet de recherche est plutôt insolite, il faut l’avouer. Vérifier à la main plus d’un quart de million de pièces, ça aide à mieux s’imaginer les grands nombres. Même si la pièce de cinq cents détient aujourd’hui une valeur plutôt fiduciaire, elle est la dernière pièce qui déjoue la Loi sur la monnaie canadienne. En effet, il est encore possible de tirer profit de sa valeur intrinsèque. En moyenne, j’aurai récupéré, manipulé, trié et analysé un peu plus de 390 pièces de cinq cents chaque jour, et ce, durant 640 jours. En somme, cette enquête a abouti à la création d'un bénéfice non réalisé de 1 169$, calculé en additionnant la valeur intrinsèque des pièces dont la valeur métallique domine leur valeur faciale, tout en retranchant leur valeur faciale. En espérant que cette enquête pourra orienter les discussions déjà en cours à propos de la disparition potentielle du castor métallique.

 

Consultez d’article complet pour plus de détails :

numinard.notion.site

 

Hugo Chouinard 
Étudiant à la maîtrise en sciences de la consommation
Université Laval

  • Vous avez un commentaire

    Pour toutes questions et commentaires, veuillez nous écrire à blogue@fsaa.ulaval.ca