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Billet décembre 2019

Le troisième R de la consommation responsable est-il réalisable?


Tout au long des années 1990, nous avons réalisé que le recyclage et la réutilisation des biens de consommation ne suffisent plus à ralentir les ravages de la société de consommation sur notre planète. Nous sommes maintenant arrivés au point où nous devons contempler, très sérieusement, le troisième R des 3R à la base de la consommation responsable.

De plus en plus rendus à l'évidence, il faudrait réduire notre consommation, voire carrément refuser de consommer. Le mouvement Zéro déchet, très timide à sa naissance au début des années 2000, commence à peine à prendre de l'ampleur. Mais, ce mouvement est-il déjà mort-né? Avorté dès le début? Probablement que oui, et ce, pour au moins deux raisons. 


Premièrement, comment peut-on soutenir ce mouvement? Pendant les années 1990, pour faciliter notre participation aux deux premiers R des 3R de la consommation responsable, soit le recyclage et la réutilisation, il a été possible de mettre en place plusieurs infrastructures. Par exemple, les villes ont instauré et subventionné la collecte sélective de matières recyclables via les bacs bleus et les centres de tri. Par la suite, elles ont ajouté la possibilité du compostage avec les bacs bruns. Le mouvement prônant la revalorisation de nos biens usagés a également eu assez d'effervescence via la mise en place de sites Web, tels que Kijiji ou eBay. Dans le domaine de l'économie sociale, plusieurs friperies ont également vu le jour pendant les années 2000, notamment pour les vêtements, les meubles/décorations et les livres.

De fait, le recyclage et la réutilisation des biens de consommation n'ont pas exigé énormément d'effort de la part des consommateurs. Beaucoup d'entreprises ont également emboîté le pas de la responsabilité sociale en mettant en place et en valorisant des efforts de recyclage ou de récupération des biens. Cependant, quelles infrastructures les villes peuvent-elles créer pour faciliter la "résistance" à la consommation? Combien d'entreprises voudraient carrément promouvoir le refus de consommer?

Deuxièmement, la résistance à la surconsommation n'est pas une mince affaire parce que les consommateurs n'ont simplement pas la volonté de réduire leurs achats. C'est-à-dire qu'ils n'ont presque aucune propension à rejeter le matérialisme. De nos jours, le matérialisme ne provoque plus aucun sentiment de gêne ou de honte, surtout parmi les jeunes adultes (Eastman et al., 2019). Les achats qui dépassent les besoins de base représentent une forme d'autorécompense ou d'autoélévation. Ces achats projettent du plaisir émotionnel et affichent une image de prospérité irréelle. 

Nous aurions pu espérer que les problèmes de surendettement des consommateurs deviennent un allié au mouvement Zéro déchet, incitant les consommateurs de tous les âges à réduire leur consommation. Les médias parlent amplement du surendettement des consommateurs, mais la consommation démesurée de biens et de services par nous, les consommateurs à la recherche de facilité, de plaisir, de nouveauté, de commodité ou de statut, est toujours hors de contrôle (Eastman et al., 2019). Nous sommes trop habitués à nous entourer de luxe, même s'il faut nous endetter jusqu'aux oreilles pour les obtenir.

Aujourd'hui, les technologies mobiles nous permettent de circuler trop facilement, le jour et la nuit, entre nos différentes transactions avec le marché de biens et de services. Nous sommes devenus des "consommateurs fluides" qui peuvent demeurer à la recherche des plaisirs du marché sans aucune contrainte ni de temps ni de lieu (Correia, 2016). Nos processus décisionnels de consommation sont si fluides et non linéaires que nous sommes de moins en moins capables de maîtriser nos interactions avec le marché.

De moins en moins intéressés par l'utilité des biens de consommation, les consommateurs fluides sont de plus en plus intéressés par les expériences virtuelles qui animent les désirs et renforcent l'individualisme aux dépens de la collectivité sociale. À chaque clic, nous sommes largement influençables et influencés grâce aux algorithmes employés dans l'analyse de "big data" collectés par les dirigeants du Web et les grandes entreprises*.

Nous sommes, en fait, des consommateurs numérisés ("datafied" selon Barassi, 2019) parce qu’à chaque fois que nous voulons accéder à une plateforme ou un service mobile, nous sommes systématiquement contraints à accepter que le site accède à nos données personnelles. Constamment encouragés, obligés et conditionnés à exposer nos données, les pouvoirs du marché ont créé en nous une forme de désistement numérique ("digital resignation"). Notre acquiescement à cette exigence du marché est devenu la norme.

Dans ce contexte, comment le mouvement pour la réduction de la consommation peut-il prendre de l'ampleur ? Comment convaincre les consommateurs qu'ils peuvent vivre très confortablement avec moins ? Pour y arriver, il faudrait complètement bouleverser l'éthique matérialiste qui nous domine et il n'y a pas beaucoup de signes que ça arrivera aux années 2020 (Peifer et al., 2019).

*Étant donné que les dirigeants du Web et des grandes entreprises sont également intéressés aux affaires politiques, il ne faut pas s'étonner qu'ils se permettent de collecter et d'analyser le profil politique de chaque consommateur qui transige sur ou près de leurs technologies mobiles (Barassi, 2019).


Gale West Ph.D.
Professeure retraitée en sciences de la consommation

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