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Billet mars 2020

L’éducation en consommation, bonne pour qui?


*Dans ce texte, le masculin est utilisé sans aucune discrimination et dans le seul but d’alléger le texte.

Le 15 mars a été nommé la journée internationale des droits des consommateurs depuis le célèbre discours du président américain John F. Kennedy, le 15 mars 1962. Par ce discours, il a légitimé́ le mouvement consommateur, entre autres, en déclarant les quatre premiers droits des consommateurs: le droit à la sécurité́, le droit à l'information, le droit de choisir et le droit d'être entendu. La fédération internationale des consommateurs, Consumers International, a ajouté par la suite le droit à la satisfaction des besoins de base, le droit à la réparation, le droit à l’éducation du consommateur et le droit à un environnement sain. S’il n’y avait qu’un seul droit à privilégier, le droit à l’éducation serait, à mon avis, le plus important.

Éduquer n’est pas que transmettre de l’information, bien que ce soit aussi une action non seulement utile, mais nécessaire. L’éducation vise à susciter, à produire des apprentissages chez une personne, à construire ou modifier chez elle des attitudes et des comportements qui deviennent des outils d’analyse, de réflexion, de décision, d’application, de stratégies, d’action, voire de revendication. L’éducation est ce qu’il y a de plus important parce qu’elle est la meilleure protection du consommateur dans une société comme la nôtre où la consommation, omniprésente, voit ses facettes mouvantes et sans cesse multipliées, les lois et les normes ne suffisant jamais à toutes les encadrer.

Un consommateur éduqué, averti, doute, il se questionne. Vigilant, il tend à rechercher l’information dont il a besoin, dont celles sur les dispositions qui le protègent et qui régissent les activités des organisations de quelque nature qu’elles soient. Il est davantage capable de traiter cette information. Il est actif, demande ou exige satisfaction voire compensation; commente la qualité, le service, le produit; reconnait et soutien les organisations qui travaillent à défendre les intérêts des consommateurs. Il est sensible aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux de l’univers de la consommation qui préoccupent la société́. Les informations qui circulent deviennent autant de molécules qui se greffent à celles déjà emmagasinées et aux apprentissages déjà acquis.

On comprend ici qu’il ne s’agit pas seulement d’apprentissages déclaratifs (ex.: connaitre les meilleurs modèles d’autos usagées), ce qui est déjà très utile, mais aussi et surtout d’apprentissages conceptuels, ceux que la personne peut appliquer dans différentes situations (ex.: connaitre telles dispositions de la LPC concernant les contrats, savoir calculer le coût du crédit).

Le consommateur éduqué est donc mieux outillé pour prendre les décisions qui vont satisfaire ses valeurs, ses besoins et ses désirs. Il fait de meilleurs choix et est plus susceptible d’en être satisfait à long terme en autant que le produit tienne ses promesses. Dans le cas contraire, il prendra des actions pour manifester son insatisfaction, ne serait-ce que d’en faire part à « qui de droit ». L’éducation en consommation profite d’abord au consommateur lui-même. Cette éducation est-elle profitable aussi aux organisations offrant des produits ou des services? La question se pose rarement, mais, selon moi, la réponse est oui, sans aucun doute possible.

Si les consommateurs, citoyens, usagers, clients, savent mieux ce qu’ils désirent, ils auront tendance à utiliser moins de temps et d’énergie de la part des vendeurs et conseillers, parce qu’ils ont déjà analysé leur situation et se seront déjà renseignés, du moins en partie. De meilleurs choix entrainent probablement moins de retours ou de remboursements, d’insatisfactions, moins de commentaires négatifs ou de plaintes.

Il est aussi plus exigeant, demandera la qualité désirée, exigera peut-être des caractéristiques particulières, une meilleure garantie, et au besoin dénoncera les lacunes, ou peut-être voudra-t-il être dédommagé. Soit, mais il renseigne ainsi le marchand, le fournisseur de services sur ce qui cloche. Celui-ci, sans beaucoup d’investissement de sa part, sera orienté sur les actions qu’il devrait entreprendre (sondage, changements d’approche, de ligne de produits ou services, etc.). L’action du consommateur éduqué aide les organisations sérieuses, leur coûte moins cher au bout du compte. On parle de relation gagnant-gagnant, de partenariat.

L’éducation en consommation doit commencer dans l’enfance et elle continue tout au long de la vie puisque l’environnement et la situation de la personne dans le cycle de vie sont en changement constant. L’éducation en consommation agit comme un moteur de protection autonome, si je puis dire, et elle est à la base du consumérisme c.-à-d. du mouvement de protection des consommateurs. En ce sens, elle est un outil puissant.

J’aime citer Philip Kotler, professeur de marketing américain devenu une référence dans ce domaine [1] qui, au début de sa carrière universitaire en 1975, affirmait que le consumérisme était bon pour le marché. Si le consumérisme est né et a pris de l’ampleur au point d’être institutionnalisé par les gouvernements, c’est que le marketing a échoué à satisfaire les besoins des consommateurs [2]. J’ai toujours été du même avis: des consommateurs éduqués, avisés, sont profitables pour les organisations. Ils aident, entre autres, à assainir le marché et à mettre en avant les organisations sérieuses. Cela devient alors un bénéfice économique.

Les lois sont nécessaires, bien entendu, et doivent évoluer avec la société de consommation. Toutefois, le rythme de cette évolution est tellement rapide qu’aucune protection légale ne peut suivre à la même vitesse. La prudence, la vigilance, la prise en charge responsable de ses actions de consommation, acquises par l’éducation en consommation peuvent aider à pallier l’absence (temporaire ou non) de règles ou de lois dans certains domaines. Si l’éducation en consommation est utile pour les organisations, ne devraient-elles pas y contribuer? On critique souvent, avec raison, la commercialisation de l’éducation. L’éducation en finances personnelles est un bon exemple. On réprouve l’utilisation dans les écoles de programmes et de matériel basés sur les valeurs des institutions financières qui les ont créés et arborant leurs noms, logos et slogans. L’école devrait être neutre, même les adolescents l’affirment [2]. Elle ne devrait donc pas laisser entrer la publicité et la promotion commerciales dans ses murs, du moins certainement pas dans l’enseignement. Ce n’est pas aux entreprises de décider du contenu enseigné dans les écoles. Cependant, elles pourraient y contribuer. Ainsi, toujours dans le cas de l’éducation financière, les institutions financières pourraient constituer une fondation destinée à financer des programmes, du matériel, des activités ou d’autres projets développés par des groupes, des organismes à but non lucratif, des écoles. Cette fondation pourrait même soutenir un programme scolaire établi. J’imagine très bien la mention « Avec la participation de la Fondation des institutions financières du Québec ». De tels regroupements pourraient être créés dans plusieurs secteurs. La logistique de la cueillette et surtout de la distribution des fonds resterait évidemment à définir.

En plus d’être un bénéfice personnel, le consommateur éduqué influence son entourage par l’exemple et les conseils qu’il donne, par les attitudes et comportements qu’il adopte. L’éducation en consommation génère donc aussi un bénéfice social, par entrainement, par encouragements. Cela s’applique aussi au domaine de la protection de l’environnement, par des actes et des choix plus réfléchis et plus sains, moins de gaspillage de ressources et d’argent. Comme l’éducation en général, l’éducation est un investissement pour la société. Elle génère des bénéfices individuels et collectifs, sociaux et économiques bien réels.

Qui doit éduquer et quand? La réponse à cette question prendrait encore des milliers de mots et pourrait faire l’objet d’un autre billet. Dans l’univers complexe dans lequel nous vivons, l’éducation en consommation doit commencer le plus tôt possible dans l’enfance, donc dans la famille, alors que les enfants apprennent par imitation sans même que les adultes en aient conscience. Ensuite à l’école parce que les jeunes y passent de nombreuses heures et qu'ils la jugent bien placée pour le faire [3]. L’influence de la famille ne s’efface pas, quoi qu’on en pense, et s’exerce tout au long de la vie par les échanges, le renforcement. L’implication des entreprises dans l’éducation en consommation n’est pas essentielle. Mais elles gagneraient à la soutenir. On pourrait même y voir une contrepartie aux bénéfices qu’elles retirent de leur commerce avec les jeunes. Pourquoi pas?

Marie J. Lachance, Ph.D.
Professeure associée en sciences de la consommation

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